J’ai séjourné pendant quelques semaines dans un autre voisinage que le mien. Là-bas, j’ai été alarmée par la façon dont une mère traitait sa fille, que j’appellerais ici Arie. Elle la battait régulièrement, surtout à 4h du matin, heure à laquelle les deux se levaient pour préparer le riz que la mère allait vendre au marché. Dès qu’elle rentrait de l’école, Arie s’occupait des tâches ménagères jusque tard dans la soirée. Je la croisais souvent dans la cour et j’étais frappée par son visage triste et inanimé. Elle détournait la tête quand je lui souriais ou j’essayais d’engager la conversation. Je me suis demandée si et comment je pouvais intervenir.
Nous sommes dans un contexte où la fessée fait pratiquement partie de l’éducation des enfants sans que cela soit un problème. Toutefois, il peut arriver que les voisins interviennent pour calmer la situation, quand il y a exagération. Mais dans ce cas, personne n’intervenait. Y avait-il vraiment abus ou étais-je juste hypersensible ? Quand un enfant ne sait plus sourire ni jouer, il y a certainement abus quelque part. J’ai pensé à me boucher les oreilles chaque fois et attendre que ça passe. Mais plus j’étais réveillée à 4h par les bruits de coups et de pleurs étouffés, plus j’avais l’impression que le Seigneur me demandait de faire quelque chose.
J’ai commencé à prier, j’ai demandé à ma famille et mes amis
de prier. Je comprends qu’on puisse se demander : «À quoi ça sert de prier ?
Il faut agir.» Je pense qu’il faut prier ET agir. Prier, parce que c’est Dieu
qui peut montrer comment agir selon le contexte. Prier parce qu’au-delà de ce
que nous pouvons et devons faire, Dieu peut changer les cœurs.
Alors j’ai prié et mes amis ont prié. J’ai pris conscience
que confronter la femme directement ne serait pas la bonne solution. J’étais
une parfaite inconnue et elle était une femme âgée à qui je devais le respect.
Le Seigneur m’a mis à cœur d’entrer en contact tout doucement avec elles,
devenir une connaissance, voire une amie, pour pouvoir leur montrer l’amour de
Dieu. En effet la vie de cette mère célibataire devait être éprouvante. Le
premier contact s’est fait en allant acheter un plat de riz chez la maman. Elle
m’a bien accueillie et quand elle a envoyé sa fille pour me livrer le plat,
j’en ai profité pour lui demander son nom, sa classe, et lui souhaiter bonne
journée. Après ce premier échange, je n’en ai pas eu d’autres avec la maman,
mais chaque fois que j’avais l’occasion de croiser Arie, même du balcon, je ne
manquais pas de l’encourager, par des mots, un sourire, etc. Une fois, je lui
ai dit que je priais pour elle. Au début elle semblait effrayée par ces marques
d’amitié, et jetait des regards effarés autour d’elle comme pour vérifier que
sa mère ne voyait pas. Petit-à-petit, une petite complicité est née, non
seulement avec moi, mais aussi avec ceux qui m’hébergeaient. En même temps, je
continuais à prier pour elle et pour sa mère, pour une meilleure relation entre
elles et pour qu’elles connaissent l’amour de Dieu. Je n’ai pas pu passer plus
de temps dans ce quartier, mais avant mon départ, nous avons constaté que sa
mère la battait moins souvent.
Ce cas m’a rappelé d’autres scènes du quotidien, où j’ai été
témoin des cas d’abus, d’injustice. Dans les lieux publics, des passants –
surtout des étrangers, se font souvent fouiller les poches sous nos yeux, ou
arnaquer par les commerçants sans que personne n’ose intervenir, souvent par
peur de représailles. À l’école, j’ai été victime de brimades à cause de ma
timidité excessive, et parfois à cause de ma tribu, sans qu’aucun enseignant
n’intervienne. En tant qu’enseignante, j’ai vu ce genre de comportement se
reproduire parmi mes élèves. Et alors que tout le monde autour trouve cela
banal, c’est un traumatisme pour l’enfant ciblé.
Je pense qu’on ne devrait pas garder le silence quand on est
témoin de tels abus. Il faut bien sûr agir avec sagesse selon le
contexte ; et justement, Dieu ne refuse pas la sagesse à celui qui en
demande. Parfois la situation ne tient qu’à une petite remarque pour être
désamorcée, parfois il en faut un peu plus. Si on s’habitue et on s’éduque les
uns les autres à intervenir pour secourir les personnes en difficulté, on serait
bientôt plus nombreux à le faire et on aurait ainsi plus de chances d’être
secourus nous aussi dans le besoin.
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