Chaque fois que la rentrée approche, et que je vois les étagères des supermarchés se remplir de fourniture scolaires, j'éprouve de la compassion pour les parents. Je me rappelle comment mes sœurs et moi rapportions de l'école la liste des cahiers demandés, avec les exigences de chaque enseignant: « Le prof de sciences a dit qu'il veut un cahier de Travaux Pratiques de 400 pages pour le cours, un autre de 300 pages pour les exercices, et un autre pour les contrôles. » Multipliez ce nombre de cahiers par le nombre de matières au programme (une dizaine), puis par le nombre d'enfants scolarisés (5 pour mes parents), et vous comprendrez le casse-tête que cela peut représenter pour chaque parent. Mais ils se dévouent, en espérant que ces cahiers seront utilisés à bon escient.
Mais voilà, il y a une matière que les parents ne prévoient pas. Elle ne se trouve pas dans le programme officiel, et tous les élèves ne sont pas concernés. Les élèves concernés n'en sont même pas souvent conscients jusqu'au jour où elle se révèle à eux, parfois en plein cours de géographie ou autre cours un peu « ennuyeux ». C'est la matière que l'on retrouve souvent sur les dernières feuilles des cahiers de ces élèves. Je l'appelle l'expression artistique.
Elle se manifeste différemment chez chaque élève. Pour moi, c'était de petites histoires et des réflexions personnelles que j'écrivais sur les feuilles arrachées de mon cahier. Pour mon voisin, c'était des poèmes écrits sur les dernières pages de ses cahiers. Un autre camarade remplissait ses cahiers de dessins de personnages aux allures de combattants. Et toute cette activité artistique se déroulait souvent en classe, au mieux pendant les heures de pauses, mais la plupart du temps, pendant les cours. Quand ils découvraient les feuilles arrachées ou les gribouillis dans le cahier, les parents et les professeurs pouvaient s'arracher les cheveux de colère! Ils disaient « C'est donc à cela que tu t'occupes pendant mon cours? » ou « Je comprends maintenant pourquoi il faut t'acheter un nouveau cahier tous les trois mois! » Aujourd'hui, je comprends mieux les parents et les enseignants. Quand j'enseignais dans un collège et que je corrigeais les cahiers de mes élèves, cela ne me réjouissait pas de voir que le cahier de français ressemblait à un brouillon ou parfois un journal intime dans lequel je retrouvais toutes sortes de réflexions. Mais, en tant que passionnée d'écriture, je comprends aussi l'adolescente que j'étais, et mes camarades à l'inspiration débordante.
Le problème n'est peut-être pas l'existence de cette activité, ni le fait qu'elle accapare l'attention de l'élève. Le problème serait plutôt le moment où il s'y adonne, et la façon de le faire. Quand je repense à mes années lycée, je me rends compte que la plupart des intérêts artistiques s'éveillaient en nous dans cette période là. J'ai commencé à dévorer les livres de la bibliothèque à partir de la 5e. Je m'intéressais aussi au piano mais je n'avais pas l'opportunité d'apprendre vraiment.
Beaucoup de garçons ont commencé à apprendre à jouer aux instruments de musique. Cela impliquait de passer plusieurs heures au club musique ou dans les chorales. Ce qui n'était pas forcément du goût des parents qui avaient peur de nous voir échouer. Certains finissaient par interdire à leurs enfants toute activité extra-scolaire. Mes parents à moi étaient tout autant inquiets de me voir passer plus de temps à lire des livres d'aventures que mes cahiers.